banner sion 1170x270

Antoine ConfortiLa guerre des mots – 2. radical

(Temps de lecture: moyen. Intérêt pour briller en société: certain. Polémique à prévoir: faible.)

Radical est d'abord un adjectif, historiquement épithète de libéral (voir mon texte précédent), encore que le plus souvent il apparaisse seul. Il s'oppose à modéré. Les (libéraux) radicaux s'opposent initialement aux libéraux modérés par leur intransigeance à l'égard des principes, et du coup leur refus d'un compromis avec les réactionnaires, mais aussi plus généralement – c'est de là qu'ils tirent leur nom (radical est dérivé de racine, en latin radix) – par l'affirmation franche que la corruption doit être éradiquée, que chaque problème doit être attaqué à la racine.

En Valais, surtout à partir de la guerre civile de 1840, les conservateurs qualifient tous leurs ennemis de radicaux ou de communistes. au sein de la tendance libérale on nomme radicaux ceux de l'aile gauche; ceux-là sont en principe: fermement républicains, démocrates, attachés à un état social fort et à un système éducatif universel, et le plus souvent (il faut le dire) anticléricaux. Ce sont les mêmes qu'on appelle grippious (ou pious, ou grippiouds), par opposition aux mitous (les libéraux modérés) et surtout aux ristous (ou tous): les aristocrates – réactionnaires en général, conservateurs et partisans de l'ancien régime.

    «Ristou (aristocrate), en patois vallaisan [sic], est employé par opposition à mitou (juste-milieu) et grippiou (radical, communiste).»
    Extrait de la Chronique Suisse d'Oscar Hurt-Binet, cité par la Gazette du Simplon

La principale société radicale en Valais à cette période est la célèbre Jeune Suisse. Malgré son nom, elle n'exista réellement qu'en Valais et n'avait de lien avec la Jeune Europe de Mazzini que formel: parmi ses chefs de file, on retrouve de nombreux mercenaires au service de la France que la révolution de Juillet (1830) a renvoyés chez eux. La chose n'est pas anodine: c'est par la France que leur sont parvenues les idées nouvelles, et moins par la lecture des philosophes des Lumières que par le souvenir bien vif encore des Montagnards comme des Girondins, c'est-à-dire moins par les inspirateurs de la Grande Révolution que par ses acteurs. La conséquence immédiate en est que le radicalisme en Valais n'est pas un courant de pensée uniforme, qu'il n'a pas de doctrine établie, et qu'il renferme une certaine diversité: parmi les radicaux les plus affirmés le commandant Alexis Joris et le chansonnier Louis Gard s'écharpent par articles interposés sur l'opportunité et le fondement idéologique de la taxe sur les importations agricoles qu'on vote au Grand conseil, mais parmi les plus prudents, l'homme fort, le rassembleur Maurice Barman en vient à apparaître pour beaucoup comme un modéré.

À la vérité, avec Maurice Barman nous touchons à notre dernier point, car il est clair que pour beaucoup aujourd'hui radical ne rime plus avec révolution, tout comme – on l'a vu dans le billet précédent – pour beaucoup aujourd'hui libéral ne rime plus avec liberté, alors pourquoi? Au sortir de la guerre du Sonderbund, le Valais (dont le gouvernement s'était établi par un coup d'état en 1844 après le tragique épisode du massacre du Trient) capitule et des élections ont lieu au début de l'année 1848 qui doivent donner au pays une nouvelle majorité: c'est à cette occasion que Maurice Barman se décide à écarter l'aile gauche au profit des modérés – notamment des députés qui siègent depuis trois ans aux côtés des conservateurs illégitimes – et ceux-là se présentent sous l'étiquette... radicale! Bien sûr, il reste au sein de cette nouvelle majorité «radicale» des radicaux authentiques, mais ils sont en minorité – et, certes, il ne s'agit pas ici de juger l'action du gouvernement élu (qui en 1857 cédera définitivement la majorité aux conservateurs).

Il s'agissait de trouver d'où vient que parfois tel homme politique – qu'il soit le plus mou, le plus corrompu et le plus complaisant de son monde –abuse communément du nom de «radical», qu'il est bien mal à l'aise de justifier, et dont il ne sait pas expliquer pourquoi il s'en sert si éhontément? hé bien, cher lecteur, si vous êtes un tel homme politique, et que vous ne savez pas pourquoi vous avez pris ce nom de radical, voici votre explication: les gens comme vous font ça depuis 1848 – et depuis 1848 ils attristent les gens comme moi.

BONUS.

Pour le plaisir voici l'intégralité de l'extrait de la Chronique Suisse cité par la Gazette du Simplon (9 mai 1847), où l'on peut apprécier toute l'objectivité de son rédacteur, le réactionnaire genevois Oscar Hurt-Binet:

«Nous avons fait les recherches suivantes sur quelques expressions employées journellement dans quelques journaux suisses; peut-être y trouvera-t-on quelque intérêt.

Ristou (aristocrate), en patois vallaisan, est employé par opposition à mitou (juste-milieu) et grippiou (radical, communiste). L'étymologie de ces mots est parfaitement logique; la voici:

Ristou dérive du mot ‹aristocratie, s. f., gouvernement des meilleurs, des plus dignes de considération (du grec aristokratéia, composé: d'aristos, très bon, et de kratos, force, puissance). – Supériorité quelconque. Exemple: L'aristocratie de la naissance, de la richesse, des talents.› (Gattel.)

Mitou (juste-milieu). Deux origines peuvent être assignées à ce nom ; à laquelle s'arrêter? Lequel adopter de ces deux mots: mitoyen, mitouche? – ‹Mitoyen, enne, adj., signifie, au sens moral, qui est placé entre deux choses extrêmes ou opposées, et qui lient un peu de l'un et de l'autre. Exemple : Avis, parti mitoyen (du latin medianus, intermédiaire). – Mitouche, faire la sainte-mitouche, faire semblant de ne pas vouloir d'une chose qu'on brûle d'envie d'avoir. Dans un sens plus éloigné, affecter un air de douceur et de réserve que le cœur dément. Style familier et proverbial. (De mie, négation, et du verbe toucher; sainte-mitouche, personne qui n'y touche mie. Quelques-uns disent sainte-nitouche, personne qui n'y touche pas.)› (Gattel.)

    Décide si tu peux, et choisis si tu l'oses!

Grippiou (radical, communiste) vient de gripper, verbe des plus actifs, saisir, attrapper subtilement. ‹Se dit en parlant du chat et de certains autres animaux. Il se dit, par extension et populairement, des personnes qui dérobent, qui ravissent le bien d'autrui. Exemple: On nous a grippé notre argent, notre bien, notre patrimoine.› (Académie.) – ‹On dit, au figuré et populairement, gripper quelqu'un, l'arrêter pour le mettre en prison (par contraction du latin corripere, prendre, saisir, empoigner). Suivant quelques hellénistes, du grec gripizeïn, pêcher, mot fait de griphos, filet, ou de grupês, croc de navire; de gripizeïn dérive la locution populaire pêcher en eau trouble.

On dit familièrement: se gripper, pour se mettre fortement quelque chose dans la tête.› (Gattel.)

Or, on ne peut douter que nos grippious ne se soient fortement grippés de gripper tout ce qu'ils pourront, sauf à gripper les mécontents. Voilà une triple étymologie du mot grippiou bien assise. (O. H.-B.)»

Antoine ConfortiLa guerre des mots – 1. libéral

(Temps de lecture: court. Intérêt pour briller en société: grand. Polémique à prévoir: modérée.)

Nous sommes tous libéraux; notre société est libérale – et, non, libéral n'est pas un gros mot. Un libéral est un partisan de la liberté, un ennemi de l'oppression. En son sens politique, il qualifiait d'abord les opposants à la monarchie absolue et son arbitraire, puis après la Grande Révolution les républicains de toute espèce et plus généralement les héritiers des Lumières. À cette époque, pas de connotation économique! les libéraux valaisans établissent par exemple lors de leur première majorité (1839-1844) un nombre spectaculaire de taxes sur l'importation de production étrangère, et un impôt direct sur la fortune personnelle en décembre 1850: ceux qui pestent alors contre l'idéal d'un état social fort (porté par les radicaux) sont les conservateurs.

Et peut-être mon lecteur connaît la vieille Chanson des impôts (ca 1857) de Maurice-Joseph Besson, président de Verbier et député au Grand Conseil? j'en donne à lire un couplet:

    «Près de deux millions
    de dettes aujourd'hui nous comptons;
    d'énormes traitements
    sont fixés à nos gouvernements.
    Tous ces receveurs,
    vérificateurs,
    tous ces grands chiffreurs
    boivent nos sueurs.
    On ne sait que créer des emplois.
    Ha! ce n'est plus comme autrefois.»

Il est vrai qu'au cours du XIXème siècle différents libéraux deviennent également partisans d'un certain modèle économique (on voit par exemple se mettre en place sur leur impulsion des traités de libre-échange), mais assez vite une authentique scission se révèle: d'un côté les défenseurs du capitalisme se confondent un peu partout avec les conservateurs et de l'autre on se nomme bientôt très volontiers socialiste. C'est par ailleurs suite au succès populaire de cette nouvelle gauche – et en particulier la Révolution d'Octobre – que les économistes classiques et les défendeurs du patronat revendiquent le qualificatif de libéral, qualificatif que les communistes combattent en réponse.

Et voilà où nous en sommes! sur la base d'un glissement sémantique les partis «libéraux» se sont mués en partis capitalistes, et pourtant – pourtant – des libéraux au sens premier du terme, il me semble qu'on ne voit plus que ça? que nous sommes tous favorables à la liberté de conscience, d'expression, de culte, à la liberté de la presse, et de façon générale aux composantes de notre État de droit.

Ce qui nous oppose, nous, aux «libéraux» d'aujourd'hui, c'est notre refus et leur acceptation des privilèges que l'avènement des républiques n'a pas abolis, notre insoumission et leur docilité envers les forces de l'argent, et en somme notre poursuite et leur abandon d'une lutte commencée quelques deux siècles de ça, pour la liberté.

Antoine ConfortiQui a dit trop d’impôts?


Élections? Slogans ! En voici un bien connu, et bien réparti partout:
Votez pour moi et les impôts baisseront!
A gauche, ceux des classes inférieures et moyennes bien entendu, à droite ceux des classes supérieures (quoique surtout très supérieures), mais assurément les impôts doivent baisser !
Hé bien, ce n’est pas mon avis, et je ne veux pas voir l’impôt perdre de terrain; même, au contraire, j’aimerais le voir partout! Non, non, ne vous braquez pas, lecteur, et considérez ce qui suit.
L’impôt constitue une part majeure des recettes de l’État, lesquelles recettes doivent financer les services publics (ou acheter des avions de combat, à ce que j’ai cru comprendre), or – je crois – nous apprécions tous les services publics: nous apprécions tous qu’il y ait des écoles pour nos enfants, des routes, des hôpitaux, des policiers, etc. mais pour autant une part plus grande encore de ces recettes provient des des taxes, des cotisations, des émoluments...
Seulement au bout du compte il n’y a que deux possibilités: ou l’on contribue au financement du bien public à mesure de ses moyens – ou non, on y contribue au bol (en gros)! et, pour moi, je me rappelle le principe qui dit: de chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins. Et étrangement peut-être ce n’est pas Marx qui l’a proposé – ni Rousseau, ni Lénine (ni Angèle) – mais l’Église des origines.
Vous avez tant? Vous payez tant. Vous êtes malade? On vous soigne. Vous allez bien? alors tant mieux pour vous!
Et cette chose si simple qu’on nomme solidarité, n’est-ce pas là après tout l’aspect le plus concret de la fraternité, qui a présidé aussi bien à l’idéal chrétien qu’à l’idéal révolutionnaire? n’est-ce pas après tout sur cette idée que par deux fois l’on a proclamé qu’une ère nouvelle était commencée – l’ère des frères, l’ère des solidaires – et que de part et d’autre les ténèbres cédaient le pas à la lumière?
Les grippious (dont je suis), naturellement républicains, avaient même pris pour devise de leur société (la Jeune Suisse) l’adage revisité: Liberté – Égalité – Humanité, et en cela sans doute entendaient-ils qu’au fond sans fraternité il n’est pas d’humanité; je les rejoins.
Avis aux chicaneurs:
qu’on ne se méprenne pas cependant: je ne dis pas que nos impôts sont justes – je crois tout le contraire – mais je dis que la seule possibilité d’un prélèvement obligatoire juste est si l’on veut un certain impôt (juste). Quant à le définir, il faudra en parler une autre fois!

Antoine Conforti, Candidat pour le Centre-Gauche PCS au conseil national