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LePeupleCelestinTaramarcaz«Noui n’est pas une réponse». Karsten Witzmann, rédacteur en chef du Sonntagsblick, illustrait dernièrement par cette réponse de Normand l’ambiguïté des résultats d’un sondage commandé par son journal sur la création d’un deuxième tunnel routier au Gothard. 68% des sondés sont favorables à la construction d’un deuxième tunnel, 62% pensent qu’on peut le financer grâce à un péage routier et 62% refusent de supprimer l’article constitutionnel sur la protection des régions alpines limitant le trafic. En résumé, le peuple a dit: «Oui, nous voulons un deuxième tunnel et nous sommes prêts à le payer. Mais non, nous ne voulons pas d’augmentation du trafic.»

La protection des Alpes, concrétisée par l’adoption de l’initiative «Pour la protection des régions alpines contre le trafic de transit » en 1994, a donc toujours les faveurs du public, à l’heure où le Conseil fédéral veut construire un deuxième tube au tunnel routier du Gothard. Le projet présenté par Doris Leuthard (DETEC/PDC) consiste à percer un nouveau tube, mis en service vers 2030 au plus tôt, et d’entreprendre ensuite la réfection totale du tunnel actuel. Selon le projet du Gouvernement, d’ici vingt ans, on devrait donc pouvoir rouler dans deux tunnels différents, chacun utilisé dans une seule direction et sur une seule voie, la voie restante servant grosso modo de bande d’arrêt d’urgence. Les frais de réfection du tunnel actuel devraient s’élever à environ un milliard de francs, soit un total de près de 3 milliards si on y ajoute le creusement d’un nouveau tube. À noter qu’un nouveau tube engendrera forcément des frais d’entretiens supplémentaires. Les tubes, c’est cher.

L’incendie de 2001 avait fortement marqué les mémoires, et l’argument principalement défendu est celui de la sécurité avec un plan évitant les collisions frontales. Ce que les opposants au deuxième tube relèvent, sous forme de boutade, c’est que le Conseil fédéral a surtout trouvé un moyen de construire les bandes d’arrêt d’urgence les plus chères de l’histoire des transports…

Moins porté sur le witz, le sérieux Bureau de Prévention des Accidents ne conclut pas à une amélioration sensible de la sécurité avec le schéma proposé. L’argument sécuritaire ne tient pas la route. De l’avis de certains partis et, plus nettement encore, de celui de l’Association Transports et Environnement et de l’Initiative des Alpes, le percement d’un nouveau tube est un investissement irrationnel et inadapté.

Les besoins en matière d’infrastructures de transports concernent avant tout les agglomérations (ressources pour financer les projets), le rail (gares de Lausanne et Genève, amélioration de la ligne Lausanne-Berne) et, pour la route, les moyens de contournements des villes (Morges, La Chaux-de- Fonds etc.). À consulter la carte fournie par l’Office fédéral des routes (illustration), on constate que le goulet du Gothard, avec ses 17’000 passages journaliers, n’est de loin pas aussi problématique que les 75-100’000 véhicules entre Lausanne et Genève et les 100-140’000 passages dans la région zurichoise.

D’autre part, une augmentation de la capacité du trafic, encore anticonstitutionnelle, ne fera que reporter les problèmes de bouchons du Gothard vers le prochain étranglement routier. La clause du besoin n’est pas remplie.

Enfin, la Confédération s’est engagée à procéder progressivement au transfert modal, c’est-à-dire au passage de la route aux rails. C’est également dans ce but que seront ouvertes les Nouvelles lignes ferroviaires à travers les Alpes (NLFA), en principe dès 2016: un projet à plus de 20 milliards piochés dans la manne publique qui serait en concurrence avec d’éventuelles nouvelles capacités routières, notamment pour le trafic lourd.

Le peuple a dit «oui» à la protection des régions alpines en 1994, «non» au deuxième tube du Gothard de l’initiative «Avanti», sans compter les 5 votations dans le canton d’Uri (en 2011 encore) et les 2 votations au Tessin contre le même projet. La décision du Conseil fédéral va contre la volonté populaire.

Malgré son prix, son inopérance et son coût exorbitant, l’option du nouveau tube a été retenue par les sages qui nous gouvernent. Il faut croire que les lobbies du goudron et des transports, Christophe Darbellay et son Association suisse des transports routiers en tête, à pied d’oeuvre depuis des lustres pour défendre leurs intérêts, sont plus efficaces que le projet qu’ils cherchent à vendre.

Mais l’affaire n’est pas complètement bouclée puisqu’un referendum et, partant, un vote populaire est encore possible. L’Initiative des Alpes a remis en avril dernier une pétition dotée de 68’000 signatures à la Chancellerie fédérale, histoire de montrer au Parlement national que la réplique sera sévère en cas d’acceptation du plan proposé par le Conseil fédéral.

Une affaire à suivre, donc.

Gothard

Célestin Taramarcaz
Député-suppléant PCS